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17 septembre 1920 5 17 /09 /septembre /1920 00:00

Villars, 17 septembre 1920

 

Chère Marie,

 

J’ai annoncé à M. Veyrassat l’assist. judic. que tu as obtenue.  Il me répond que Me Bovay est un avocat très capable et très consciencieux.  L’assist. judic. ne déploie pas ses effets rétrospectivement (dommage) en sorte qu’il faut payer le tribunal, le greffier et l’avocat (ta part).  S’il reste quelque chose sur le billet de 100fr envoyé à V, je te l’enverrai, car j’ai passé cette somme par profits et pertes.  En attendant, je t’enverrai aujourd’hui ou demain un petit mandat de f.25, le change est bas, cela te fera en tous cas 51fr.

 

Je me suis mise à la disposition de M. Bovay pour tous renseignements mais il recevra de Veyrassat toutes les pièces du dossier, y compris mon résumé ce qui le mettra au courant.  S’il le faut, j’irai à Lausanne.

 

Avant d’aller plus loin, j’ai attiré l’attention de M. Bovay sur quelques points qu’il éclaircira.  Voici en substance :

« 1°- G. a-t-il obtenu sa naturalisation suisse, en ce cas, comment n’en as-tu pas été informée.

2°- Si non, comment le Trib. de Vevey peut-il entrer en matière sur une demande de divorce faite par un sujet italien, pays où le divorce n’est pas admis ?

3°- L’Italie a-t-elle avec la Suisse un traité reconnaissant la jurisprudence de la Suisse en matière de divorce : il existe dans la loi fédérale un art. 7.h. qui réclame la preuve que les tribunaux étrangers reconnaîtront le jugement suisse.

4°- En raison de ce qui précède, le divorce n’est pas passible et serait, en tous cas, frappé de nullité par l’Italie.  N’y aurait-il pas lieu, pour éviter un procès inutile, de faire déclarer le Trib. de Vevey incompétent ?

Non que Mme G. se refuse au divorce, au contraire, mais si ce procès n’avait aucun aboutissement passible, il conviendrait de l’éviter. »

 

Il y a eu des cas où le divorce prononcé en Suisse n’a pas été admis par la France, malgré le traité existant.  Alors, s’il n’y a pas de traité avec l’Italie, le divorce est impossible.

Sans doute, au point de vue financier, cela te serait égal, puisque tu n’as rien à payer.  Mais il y a le procès, avec l’étalage des griefs du sieur Ghigo, et si le procès est annulé par l’Italie, cela ne sert qu’à nous embêter.  Je suppose que G. sait à quoi s’en tenir, mais, dans le but de ne pas être inquiété au sujet de son ménage irrégulier, il veut prouver qu’il a fait son possible pour se débarrasser d’une épouse coupable pour en épouser une meilleure.  Il paraît qu’il s’attend à ce que tu t’opposes au divorce et doit être déjà d’une belle rage en voyant le procès renvoyé et le Pro Deo accordé !

Si le Trib. de Vevey est déclaré incompétent, il faudra qu’il abandonne l’affaire ou qu’il t’attaque devant les trib. italiens.  Cela va lui coûter une somme folle et traîner encore longtemps, surtout à présente que l’Italie est en révolution.  On verra ce que Bovay dira de cela.

Il est évident que si tu veux laisser le procès suivre son cours, il le suivra.  Mais si G. n’est pas Suisse, c’est une affaire inutile.

 

Nous sommes toujours dans nos embarras financiers.  La Banque cantonale veut être remboursée de 7000fr au 30 de ce mois.  Où les prendre ?  Tout ce qu’H. peut faire, c’est de lancer un gâteau à Cerbère sous forme de qques centaines de fr. en attendant qu’il vende sa maison.  Il a des offres, mais la Banque acceptera-t-elle ?

C’est pour cela que je t’envoie si peu d’argent, car il faut toujours s’attendre à quelque catastrophe et il faut vivre.  Qui sait si je pourrai aller à Brx. cet automne.

 

Alors le pauvre petit Malou compte sur moi pour vous remonter le moral ?  Hélas !  elle n’est pas la seule.  Mme Schwerzmann m’écrit des lettres lamentables, pourtant elle est moins à plaindre que nous tous.  Et la pauvre Cyla, qui a débarqué du pays des dollars croyant trouver une Suisse en pleine prospérité !  Elle ne trouve de situation nulle part : ses amis qui, à distance, étaient charmants, se tiennent sur la réserve, ayant peur qu’elle ne leur tombe sur le dos.  Ses frères pour lesquels elle est revenue en Europe font les récalcitrants pour se mettre en ménage avec elle.  Enfin, elle a fait une chûte profonde et ne peut réaliser que sa patrie la repousse.  Elle me demande conseils et consolations.  Pauvre Cyla, elle avait tant d’illusions.

 

Cela me navre si je ne puis aller à Brux.  Je crois en effet que je ne serais point inutile, si mes forces se maintiennent ce qu’elles sont.  Je fais joliment de besogne et puis, si j’ai parfois des défaillances morales, je tâche qu’on ne s’en aperçoive pas trop, car les autres, qui sont en pleine tourmente, ont besoin de voir un peu de sérénité autour d’eux.

 

Si au moins les baux de mes locataires étaient renouvelables à présent, cela me donnerait une jolie somme car je les augmente tous, mais c’est pour le 1° juin seulement.  C’est qu’il ne s’agit pas d’être une charge pour ton ménage, au contraire.

Je ne peux m’empêcher de ronchonner quand je vois la Suisse jeter des millions pour entretenir des enfants Boches, et que les Suisses ne trouvent aucune aide.

 

Si la Banque est intraitable, Henri se trouvera sur le pavé, et le chômage règne partout, et voici venir l’hiver…

Toutefois, il s’agit de ne pas perdre la tramontane.  Peut-être que quelque aubaine inattendue me permettra de te donner une aide plus efficace.

 

La pauvre Nison est sans doute trop fatiguée à l’hôpital.  Dis-lui de résister autant que possible à ses nerfs.  Peut-elle se promener au grand air ?  Pauvre petiote, elle a été si courageuse.  Il n’y a pas à dire, les femmes dans notre famille ont vaillamment combattu avec des armes de second choix !

Mais dis-lui de se remonter à force de volonté, et à Madelon aussi.  La pauvre bouèbe qui ne savait rien des soucis d’argent !

Enfin, nous allons faire comme les fourmis quand elles ont à porter un trop gros brin de paille : on se mettra à plusieurs.

 

Je vais faire l’impossible pour trouver moyen de t’aider, car je m’inquiète en pensant que tu veux reprendre tes leçons !!  Si au moins nous pouvons passer l’hiver sans trop de souffrances, cela ira mieux au printemps.

Peut-être tirerais-je en Janvier des honoraires pour notre littérature (y compris le « Monégasque »).

Enfin, ne nous décourageons pas et cherchons la porte de sortie.

 

Ne te fatigue pas à m’écrire, une carte suffira, à moins que tu ne me parles du procès.  N’écris à Bovay que le strict nécessaire pour ne pas te fatiguer, car il a mon mémoire qui est assez complet, et puis, je le renseignerai.

 

A bientôt mieux.  Je vais me reposer un peu les yeux et après midi je redoublerai ma jaquette de « chez Wilson » qui arrive à point pour passer l’hiver.  Mais on m’a demandé 8fr !! pour laver ce costume !  C’est affreux !

Ma foi, si je vais à Brux, je ne serai pas tant bien mise, mais je « raserai les murs » quand je sortirai de jour.  A Villars, il n’y a pas besoin de toilettes, tout va.

 

Ma pauvre !  Dieu sait comment vous êtes habillées !  Enfin !  il faut prendre son parti de la misère, ce n’est pas notre faute.  Si au moins je pouvais mieux t’aider !

 

Je vous embrasse chaudement toutes les trois, en espérant, et en voulant, que cela aille mieux sur toute la ligne.

 

 

                                                                                 Maman

 

 

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22 juillet 1920 4 22 /07 /juillet /1920 00:00

Villars, 22 juillet 1920

 

Chère Marie,

 

Je reçois ta carte ce matin ; elle s’est croisée avec ma lettre.  Dire, ma pauvre enfant, que je ne puis te venir en aide !  J’ai dans 6 semaines 1210 fr à payer et je n’en ai que 250 !  Pour achever, une circulaire de la banque cantonale à Henri, prévenant qu’ils exigent le remboursement de leurs prêts au 30 septembre.  Trouver 7000 fr quand on n’en a pas pu trouver 1000 !  Ce sera l’expropriation et la vente faite par la Banque qui rachètera en sous-main, peut-être pour 15 à 20.000 fr une maison qui en vaut 40.000.  Avec ces bénéfices légaux, oh ! combien ! les banques bâtissent des palais.  Comme c’est comme cela partout, il ne faut pas s’insurger, mais H. qui a lutté 6 ans pour rien, sortira de là sans un sou vaillant !

Quant à moi, je lui ai aidé pour éviter la faillite, et je suis à fond de cale.  Nous avions qq. pensionnaires que nous avons congédiés, car on ne gagnait rien, on perdait même à f.9 par jour.  Et il y a des gens qui en prennent à 6.50.

Il semble que tout sombre, et pour me donner le dernier coup de matraque, Mme Mathilde choisit ce moment pour me faire des [avaries ?] pires que celles que j’ai supportées.  Elle m’a traitée de crampon pour une simple question que je lui avais faite.  Peu à peu, elle m’a chassée et je n’exagère pas.  Elle peut être horrible quand elle se met à haïr quelqu’un.  La pauvre Any en a su quelque chose.

A présent, je n’y remets plus les pieds.  Elle avait pris l’habitude de me bousculer en criant pardon ! comme si elle lançait une injure.  Puis, comme je ne disais rien, elle a été plus loin.

A présent que j’ai donné tout mon argent, elle voudrait me chasser comme elle a chassé la pauvre Any.  Elle a des haines féroces.

 

Rose ne me parle plus, on voit qu’elle lui a bourré le crâne, ou bien elle hausse les épaules.  Jamais je ne l’aurais soupçonnée d’être aussi mauvaise.  Si au moins elle ne disait pas des mensonges à Henri.

Enfin !... je ne t’apprends rien, et quoi qu’on fasse, toujours les belles-mères auront tort.

 

J’ai été hier au lit, malade de chagrin, et j’ai tellement maigri que mes habits ne me tiennent plus sur le corps.  Je voulais me mettre à faire ma popote mais j’ai eu peur de faire de la peine à Henri et je mange avec eux.  A table, elle est avec moi d’une politesse !  C’est pour les yeux d’Henri.  Cette femme a une fringale de flatteries et d’admirations que je ne peux plus contenter.  Comme elle a caché son jeu ! et moi, bêtement, je m’évertuais à lui faire plaisir et des petits cadeaux.  C’est bien fini à présent.  Tu sais, je ne donne plus même de vos nouvelles ; elles sont accueillies avec un suprême dédain.

 

Que faire avec ton procès ?  Je suis si découragée que je n’ai plus la force d’y penser.  Je pense qu’il faut laisser l’avocat déposer son mémoire et c’est tout.  On te condamnera, c’est certain (la justice !!) mais tu refuseras de payer.  En tous cas, tu seras débarrassée à tout jamais de cet ignoble personnage.

 

Je pense tâcher de vendre des meubles en septembre, mais il y en a tant à vendre partout !  Et alors je tâcherai de t’aider un peu.  J’ai vendu déjà mes bijoux et quelques meubles, mais cela fait si peu d’argent.

 

Oh ! ma pauvre Marie, combien nous sommes malheureuses !  Si j’avais au moins un peu d’énergie, mais les méchancetés de cette créature m’ont mise en bas.  Et tous ces soucis !

Je ne sais si mes locataires pourront me payer, les affaires vont si mal.  Et j’ai le couvreur à payer.  Enfin, n’en parlons plus !

 

Ma Camille [Laudé ?] va s’en aller, au moins elle me l’a promis.  Elle frappe la nuit à toutes les portes, disant qu’on fait du bruit, ennuie tout le monde.  Elle a lancé un soulier à la tête de deux gamins, sous prétexte qu’ils se moquaient d’elle.  « La folie des persécutions » dit d’un air douceâtre Mme Mathilde, pour commencer à faire croire que j’en suis atteinte.  Tu m’excuseras, je ne voulais pas t’en parler de peur de t’agiter, mais égoïstement, je constate que cela m’a soulagée.  Alors ne te tourmente pas, car une fois ressaisie, je ferai face.

Si au moins je t’avais ici, nous serions ensemble et l’air te ferait du bien.  Que c’est long cette maladie.  Si au moins on en voyait bientôt le bout !

 

Une petite nouvelle agréable pour finir. mes « Gens de [Piogreville ?] » sont acceptés par « Mon Chez Moi » à f.4 la page.  Malheureusement cela ne paraîtra que l’année prochaine.  Ton « Monégasque » est accepté aussi mais la Fourmi (qui n’est pas prêteuse) paie peu.  Ce sera peut-être cent sous, mais cela vaut mieux que rien.  D’autres petites choses acceptées aussi.  Ce sera toujours pour s’acheter une chemise ou des espadrilles !

 

Si je n’avais pas le cerveau embrumé par les soucis, j’écrirais une histoire [mônnière ?].  Pourtant, cela m’occuperait à présent que je suis comme Agar au désert !  C’est humiliant de trafiquer de sa plume sous la bannière du bon Dieu !  J’ai l’air de Guillaume !

 

A propos : le suicide de Joachim, n’est-ce pas le châtiment qui continue ?  Mais voilà encore des restes de calvinisme.  Le Châtiment !  De quoi sommes-nous bien punies pour être si malheureuses ?  Et la pauvre Melle Douard, était elle punie d’avoir, par charité, élevé son ignoble neveu ?

 

Je commence à emboîter le pas derrière Flammarion qui voit les mentalités étranges d’à présent à travers les taches du soleil.  Il faut bien expliquer les aliénations mentales et l’affaiblissement cérébral, car il y en a trop.

 

Mais je dois mettre le point final, je t’ai bien fatiguée peut-être ?  Je tâcherai d’être plus gaie une autre fois.

 

Amitiés aux enfants, et prend courage, il y a une fin à tout.

Je t’embrasse mille fois

 

                                                                                 Maman

 

 

Je viens de dîner.  Mme V. junior n’a pas paru à table.  Elle attendait que je fusse loin, aussi je me suis dépêchée.  C’était facile vu l’appétit peu féroce !  Dire qu’un peu d’argent seulement m’empêche d’aller te rejoindre, mais il faut payer mes 1210 f et vivre !

 

 

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23 mai 1920 7 23 /05 /mai /1920 00:00

Villars, 23 mai 1920

 

Chère Marie,

 

J’ai toujours attendu depuis quelques jours, espérant avoir quelque chose de réconfortant à t’annoncer, comme qui dirait un rayon de jour dans les ténèbres, mais rien !  Nous barbotons en pleine purée !  Et ce qui me chagrine le plus, c’est de ne pouvoir mieux te soutenir dans ta longue épreuve.

 

Mon dernier mandat représentait une pétroleuse que j’ai vendue, et je me demande comment je ferai pour t’envoyer de l’argent.  Car il y a encore ton avocat qu’il faudra payer, quelle que soit l’issue du procès.

A propos, je ne sais rien : Veyrassat ne m’a rien écrit.  Je pense que l’affaire a été renvoyée.  J’ai insisté sur ton incapacité à payer.

 

Enfin, il faut attendre.  La loi de divorce va passer aux chambres italiennes, peut-être G. l’attendra-t-il.  Mais s’il recommence un nouveau procès après celui-là, avec frais à ta charge, ce sera plus que « meulant ».

Cet hurluberlu nous aura, au moins, assez ennuyés.

 

Voilà presque six mois que nous cherchons à emprunter de l’argent pour faire face à la situation, mais toutes les banques nous refusent.  On a pourtant taxé ma maison à 80.000f au cadastre et 7.000f taxe vénale.  J’offre donc une garantie nette de 50.000f plus le mobilier.  Henri garantit 12.000 et sur ces 60.000fr au bas mot, on me refuse 2.000f.

Le Crédit Foncier a menacé Henri de poursuites.  Il a fallu vite envoyer 200f à compte pour leur boucler le bec.

 

Et comment faire pour reprendre les affaires ?  Il faut des marchandises, payer les patentes et enfin remettre en train.

J’avais espéré qu’Henri reprendrait des pensionnaires, car mes chambres sont si jolies avec tout ce que nous y avons fait, mais si nous ne trouvons pas d’argent, il me faudra faire une vente de meubles, car si Henri ne peut pas payer ses intérêts et moi les miens, on peut nous saisir nos immeubles les vendre à vil frise (en ce cas, les caisses hypothécaires font racheter en sous-main) et le pauvre débiteur exproprié est réduit à la misère.

Dans ces conjectures, il me faut toute mon énergie et mon savoir-faire pour nous tirer de là.  Surtout cette année, il n’y aura aucun étranger en Suisse à cause du change.  Ce sera pire, bien pire que pendant la guerre.

Nous avons encore dû nous restreindre, ne pas sortir pour ménager nos restes de vêtements et supprimer le thé de 4 heures.  Mais ne crois pas que je perde courage, c’est un mauvais moment à passer et j’en ai tant passé dans ma vie qu’un de plus ne me fait pas peur.

 

Math et moi nous faisons des matelas et je vais peindre mes lits de sapin pour pouvoir les vendre à un bon prix, s’il faut en passer par là.

Ce qui m’inquiète bien plus c’est ta santé, le moment des vacances qui s’approche,  et que je ne peux pas t’aider comme je le voudrais.  Il me semble toujours que je dois trouver un moyen.  Il le faudra bien.

 

En tous cas, ne te tracasse pas avec ce que je te dis ; je ne t’en aurais pas parlé si je ne devais t’expliquer pourquoi mes envois d’argent sont si maigres.  Hélas ! c’est la faute à Guillaume !

 

Je t’envoie deux photos où ta mère a l’air toute guillerette malgré la dureté des temps.  Any a l’air d’un « Bettlerstudent » et Math d’être dans les 6èmes dessous.  Melle Poutet un peu sorcière…  Au fait, c’est moi qui suis la mieux…

J’ai découvert deux timbres de la Paix que je t’envoie, on n’en trouve plus.

 

J’ai reçu hier le faire part du décès de Mme Gonin, on l’ensevelit aujourd’hui.  Outre cela, la vie est toujours si monotone ici que par moment cela semble insupportable.  Même l'entrée de la Suisse dans la Soc. des Nations qui a mis sens dessus dessous toute la Suisse romande a passé calmement ici.

Tout le monde gémit qu’on s’ennuie, et les figurent s’allongent.

 

Excuse-moi si je change de papier, je n’en ai pas d’autre sous la main.  Du reste, j’ai peu de chose à ajouter, et mes yeux se fatiguent.  J’écris sans lunettes, tu sais, je déteste écrire avec des besicles sur le nez, cela me coupe l’inspiration.

A propos, j’ai découvert à la pharm. Engelmann un collyre Nobel qui est merveilleux.  Cela ne guérit pas mais cela ôte toute l’inflammation, c’est un vrai soulagement.

 

Alors, Jack est de nouveau sortie de sa Box ?  Ce que F. aurait de mieux à faire c’est de divorcer aussitôt que la loi aura passé en Italie.  Sans doute, il devra toujours payer une pension, mais au moins elle n’aura plus aucun droit sur lui.  Quelle benêt, aller s’encombrer d’une pareille folle, et par surcroît, avoir un enfant !

 

Avec ces charges, comment te venir en aide ?  Cela me met hors de moi d’y penser.

 

Comment va Madelon avec ses maux d’estomac ?  Peut-elle au moins donner un certain nombre de leçons ?  Embrasse la bien pour moi et la vaillante Denise aussi.

Any est très bien tombée à Yverdon, on est bon pour elle.  Si au moins elle pouvait apprendre un peu l’économie et ne pas s’acheter des bas de soies qu’elle jette loin pour ne pas les raccommoder.  Elle sait pourtant que c’est une nécessité d’économiser par le temps qui court.

 

Que te dit ton docteur ces temps ?  Te sens-tu vraiment un peu mieux ?  Je pense que ton état ne redeviendra normal qu’après la crise d’âge.  Tu seras alors probablement mieux qu’auparavant.

Enfin, courage ma pauvre chère Marie, il s’agit de faire face à tout sans défaillance.  Je trouverai bien un moyen de te venir en aide ; je ne dis pas tout de suite, mais le plus tôt que je pourrai.

Quand j’aurai pu vendre quelques meubles, cela me mettra un peu au large.

 

Adieu ma chérie, je t’embrasse de tout cœur.

Et encore une fois courage.

 

 

                                                        Maman

 

Lance-moi une carte pour me donner de tes nouvelles.

Nous attendons demain une locataire qui viendra voir un magasin qu’H. a fabriqué dans la véranda.  C’est lui et Math. qui ont placé la menuiserie.

                                                                          

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6 mai 1920 4 06 /05 /mai /1920 00:00

Villars, 6 mai 1920

 

Chère Marie,

 

Je reçois ta lettre : la procuration que tu m’envoies ne sert absolument à rien.  D’abord mon intervention ne doit pas y figurer, tu ne peux te faire représenter que par un avocat, personnage officiel, ensuite ta signature doit être légalisée par un juge de Paix.  Sans cela elle est sans valeur.

J’ignore si en Belgique on exige le timbre.  Freddy devra s’en informer et se charger des démarches.

 

Encore une chose, tu dis : « je l’autorise à toutes les mesures jugées nécessaires pour ma défense au cas où je serais condamnée aux dépens ».  Mais ma pauvre, si tu es condamnée aux dépens, c’est trop tard pour « prendre des mesures ».

 

Il n’y a plus qu’à payer ou à faire casser le jugement – avec grands frais – car tu pourrais être condamnée en cassation à tout payer.

Mais tu peux produire un acte de défaut de biens.

Envoie F. se renseigner et envoie une procuration légalisée au nom de Me Veyrassart ton avocat.  Je crois que nous aurons le temps si le délai demandé par M. de Muralt est accordé.

 

Toutefois, il serait bon d’avoir la procuration pour le retour de M. Veyrassart afin qu’il puisse agir.  Je pense qu’il est inutile de charger ta lettre, puisque les grèves sont finies.

Mon mémoire est prêt, je l’ai appuyé par qques lettres prouvant que la séparation a été faite à l’amiable et non à la suite d’une scène.

 

G. voudra te faire condamner, d’abord par muflerie, puis parce qu’il espère avec ce jugement obtenir sa naturalisation et ensuite son divorce.  Je ne vois pas autre chose.

 

Ne te tourmente pas, c’est nécessaire que je te tienne au courant, mais ne t’agite pas.  Veyrassart est un homme froid et lucide qui verra les points faibles de l’attaque et les arguments de la défense.

 

J’ai eu encore une déception : le Crédit Foncier me refuse un prêt de 2000f garanti sur ma maison.  Entre Henri et moi, nous pouvons donner 110000f en garantie et on nous en refuse 2000 !  C’est te dire le gâchis financier qui règne en Suisse grâce aux spéculations des banques.  Les hôtels, les fabriques, les commerces se ferment les uns après les autres.  Et la vie ne baisse pas.

On quête pour les Russes, les Autrichiens, on reçoit des petits Boches affamés par centaines, et pendant ce temps les Suisses peuvent allonger leurs dents.  C’est honteux !  Parce que nos banques jouent à la baisse.

 

A propos de baisse, je ne puis rien t’envoyer en ce moment, mais je tâcherai de le faire si tôt que je le pourrai.  Cela m’ennuie tant d’être si pauvre !  Pas pour moi, qui n’ai besoin de rien, mais pour mes enfants.

 

Melle P. vient de partir pour son procès, qu’elle perdra sans doute ainsi que son argent.  Quelle purée que celle où s’enlise l’Europe !  C’est égal, il faut rester ferme.  Mes 74 ans sont encore là, et sois tranquille j’ai la vie dure.

 

Au revoir ma chère petite.

Amitiés à tous

 

 

                                                        Maman

                                                       

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30 avril 1920 5 30 /04 /avril /1920 00:00

Villars, 30 avril 1920

 

Chère Marie,

 

Ne te tourmente pas, nous aviserons.  Envoie-moi seulement tout de suite une procuration au nom de M. A. Veyrassat avocat à Montreux.  J’irai le voir lundi, je rédigerai un mémoire des faits qu’on peut prouver et Veyrassat fera le reste.  Il faudra bien que G. prouve qu’il a envoyé des papiers le 27 janvier.

 

Autre chose : il a commis une indélicatesse à Vevey envers son chef d’orchestre et a été de ce fait condamné aux Prud’hommes, et puis il vit ouvertement en concubinage à Vevey et la loi le défend.  Il s’estimera heureux s’il n’est pas expulsé comme indésirable.  C’est un ineffable imbécile comme il l’a toujours été.  Tu sais si ses calculs ont jamais réussi !

V. a encore en main le papier par lequel il renonçait à ses droits sur toi, et la bague.  Enfin, s’il y a prescription pour ses griefs contre toi, il y en a de plus récents contre lui.

 

Envoie aussi le papier que tu as reçu.  Il faut encore voir si cette erreur : Madeleine [] Denise n’est pas destinée à faire passer la 1re pour illégitime, en vue de l’héritage Vauban.

 

Je verrai Veyrassat et te dirai le résultat.  Il ira sans doute voir le Pt du tribunal et fera une enquête discrète.

En tous cas, refuse énergiquement de payer.  G. n’a jamais entretenu sa famille et même les 500fr de l’héritage d’Annette dont il n’a jamais rendu compte à F., où ont-ils passé ?  C’est un vulgaire coquin qui veut se venger sur toi d’avoir perdu Mad. (le gage de l’héritage !!)

 

Donc, une fois la procuration envoyée, calme toi, soigne toi, nous ferons le nécessaire mais nous te défendrons.

 

Je dois expédier ceci tout de suite, si cela peut encore passer avant la grève.

 

A bientôt mieux, mais ne perd pas de temps – car il faut agir de suite.

Nous t’embrassons de tout cœur

 

 

                                                        Maman

                                                

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