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27 janvier 1919 1 27 /01 /janvier /1919 01:00

Villars, 27 janvier 1919

 

Chère Marie,

 

J’ai reçu avant-hier ta lettre du 9 janvier, ceci pour te dire que les lettres recommandées ne voyagent pas plus vite que les autres.  Donc réalisons une petite économie !

 

Je viens d’écrire au banquier de Mr. G. qui trouvera peut-être moyen de te faire parvenir ces f100 que j’ai là depuis un certain temps et qui te seraient bien utiles.  Ne te fais aucun scrupule, nous pouvons pourtant Eug. et moi, faire ce minimum.  Pourvu seulement qu’on puisse te l’envoyer.  J’aimerais tant à te sentir bien nourrie, avec la somme de travail que tu dois faire, ce serait bien nécessaire.

 

Je me demande quand on sera ravitaillé à un prix abordable.  Certainement, il y a des manœuvres mercantiles sous ces hausses qui persistent.  On vient de hausser les allumettes sous prétexte de pénurie de matières premières !!  On nous prend pour des idiots.  Les œufs sont à 7f la douzaine, et nous n’avons toujours que de 3 à 5dc de lait par jour.

En revanche, les paysans sont à leur aise : ils ont du pain au lait et leurs bêtes boivent le lait que nous n’avons pas. 

 

Parlons d’autre chose : je crois que vous avez pris un bon parti en mettant le bébé en pension puisque vous êtes sûres qu’il sera bien soigné.  Sans doute, c’est une séparation, mais si la pauvre Jeanne est aussi faible et toi très fatiguée, cela n’aurait pas pu aller autrement.  Les promesses de Freddy m’inspirent peu de confiance, cependant si sa femme tient bon, il sera bien forcé de distraire quelque chose de ses menus plaisirs pour faire son devoir (…).  Nous verrons.  S’il souffre un peu, ce sera peut-être une leçon pour son égoïsme.

En tous cas, tôt ou tard, il sera bien forcé de voir que l’égoïsme ne mène à rien de bon.  Il devrait déjà l’avoir compris, malheureusement c’est un caractère faible qui le rend l’esclave de ses fantaisies.  C’est le fils de son père !

 

Ne te tracasses pas pour ma santé ; je me porte mieux qu’il y a une année.  Nous allons tous assez bien, sauf Henri qui a une toux opiniâtre qu’il ne veut pas soigner.  Il en serait débarrassé s’il avait pris un flacon de sirop Ramy, mais il est aussi obstiné que son rhume !

Il fait un froid excessif ces temps.  Cela nous est venu des Etats-Unis qui l’avaient en Nov. Décembre.

 

J’ai reçu une carte de Madeleine, elle était si heureuse d’avoir pu enfin recevoir de tes nouvelles directes.  D’Eugénie je n’ai rien reçu ces temps ; elle a beaucoup à faire car J. ne lui aide en rien au ménage, et elle a encore chez elle le petit Henri, le petit garçon d’Hélène, dont il faut s’occuper et qu’il faut habiller, car sa sœur est incapable de coudre quoique ce soit malgré le cours de lingerie qu’elle a pris.  C’est terrible de voir les jeunes filles modernes.  Ells « ne s’en font pas » et n’ont aucun sentiment de leurs responsabilités.

Je crois que notre petite Denise a plus de caractère que cela ; elle m’en fait l’effet.  Ici, Annie, bonne fille, est d’une étourderie et d’une négligence étonnante.  On ne sait à quoi la vouer.  Rose sera plus sérieuse et aura plus de volonté heureusement.

 

Je pense que Denise a maintenant ma lettre et que tu en auras aussi reçu tout un lot, car je t’ai écrit plusieurs fois.  Seulement, cela va si lentement que je ne me souviens plus de ce que je t’écris, et je pense que souvent je me répète.  Cela me fait toujours l’effet d’une conversation à bâtons rompus.

 

Enfin !  Cela finira par s’arranger… peut-être !

J’aimerais te voir pouponner !  Toi, grand-mère.  Cela m’étonne moins d’être arrière-grand-mère, car je me sens si vieille.

Verrais-je une fois mon arrière-petite-fille que tout le monde trouve si jolie ?  Pauvre bébé, elle est venue au monde en un triste temps.  Mais qui sait ? peut-être sera-t-elle très heureuse, car le bonheur ou le malheur n’est souvent que le jugement porté par nous sur notre propre destinée.

 

Embrasse bien Denise pour moi et le bébé aussi.  Nous t’envoyons tous nos tendresses, en attendant le revoir.  Car il faudra bien tâcher de venir te refaire un peu en Suisse, puisqu’on ne peut rien vous envoyer.  Si tu étais Viennoise, ce serait peut-être plus facile !!  Nos Mandarins accorderaient des facilités !  Ah !  « De nouveaux cieux et une nouvelle terre où la justice habite ».  Mais nous en sommes loin ! 

 

Au revoir ma chérie, bon courage et, tout de même, bon espoir !

Je t’embrasse avec toute mon affection.

 

                                                        Ta maman

                                                                 E. Versel

 

 

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