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      Chapitre I

 

J’hésite… qu’ai-je envie de faire ce soir ?  Ecrire ? étudier ? ou juste regarder un film et laisser mon esprit s’évader, sans faire d’effort…

Je ne sais pas.  J’ai tant de choses à faire avancer…. la retranscription des lettres de mes ancêtres, mon « roman », étudier mes cours de guide-nature…

Que faire ce soir ?  Il fait calme dedans, dehors la nature se déchaîne… un café bien chaud… c’est l’ambiance idéale pour motiver mon imagination.  Mais comme d’habitude pas la force, pas l’énergie… qui trop étreint, mal embrasse.  C’est tout à fait la devise de ma vie.  Rêver de vivre plein de choses et ne jamais les vivre réellement.  Y penser, projeter… procrastination est mon 2ème prénom !

Et si j’écrivais mon journal, comme je le faisais à 15 ans ?  Pas d’effort d’imagination à faire, juste écrire ce qui me vient.  Mais quel intérêt ?  Pour mon fils plus tard ? Non merci, pas envie que quiconque puisse un jour lire dans mes pensées les plus secrètes, découvre mes faiblesses et mes peurs.  Et encore moins que mon fils découvre à quel point sa mère pouvait être bloquée et tarée.  Surtout pas !

Alors quel intérêt ? Ecrire pour ne pas être lue, c’est débile…

Et si je faisais passer tout ça pour de la pure fiction ?  Je m’appelle Charlotte, ou Zoé… et mon fils est… Thomas ?  Oui, bonne idée, comme ça je peux dire tout ce que je pense sur tout le monde et changer les noms et les situations.  Mon honneur est sauf… et les gens auront le doute qu’il suffit d’avoir pour ne pas le prendre complètement mal.  Parce que des comptes à régler, j’en ai quelques-uns.

C’est une idée intéressante… admettons.  Je m’appelle Charlotte et je vis à Bruxelles, nous sommes en mars 2010.  Plusieurs choses sont en train de se passer dans ma vie.  Au moment où je commence ce récit, je ne sais pas encore où il va m’entraîner… ce que je vais découvrir.   Mais je sais que les lettres de ma famille vont m’aider à savoir d’où je viens, d’où me vient cette passion pour l’écriture…

Plantons le décor… je m’appelle… Charlotte Daumont, j’ai 40 ans et je vis à Uccle, dans un appartement.  Petit mais agréable, relativement bien situé.  J’élève seule mon fils de 5 ans (le père ayant décidé la rupture à plusieurs reprises pendant la grossesse, pour se décider définitivement 4 mois après l’accouchement).

Je me sens passablement heureuse, me passionne de plus en plus pour le paganisme avec ma meilleure amie Zoé et mon frère ainé Frédéric, tout en suivant la formation de guide-nature.  Niveau boulot, ce n’est pas le rêve mais ça aurait pu être pire.  Je travaille dans une bibliothèque publique et rédige des critiques de livres pour la revue littéraire locale.  L’ambiance est exécrable, surtout en ce moment, mais j’y reviendrai…

Mars 2010 donc, un dimanche après-midi ensoleillé… je fais la route jusque Genval, pour aller y passer un goûter en famille.  Rien que cette évocation me rappelle plein de souvenirs… des odeurs, des sons, des couleurs…  Je roule dans ma petite cacahuète de C3 -j’adore rouler en écoutant Enya ou tout ce qui y ressemble.  Non, je veux dire que j’adore conduire, piloter.  Surtout quand c’est pour quitter la ville et m’enfoncer dans la « campagne », vers une destination que j’aime…

Enfin arrivée, je prends une grande inspiration en sortant de la voiture.  L’air est si doux ici, toute cette nature me fait frissonner de plaisir.

La saison d’Imbolc a fait tout doucement place à celle d’Ostara.  Le soleil se fait plus présent, la terre se réchauffe.  Les règnes animal et végétal reprennent leurs droits.  L’air sent bon le printemps.  Avec l’hiver, c’est mon moment favori.  Quand le fond de l’air se réchauffe, qu’il fait juste assez bon pour se promener sans frissonner, mais pas encore trop chaud.  Je ne supporte pas la chaleur étouffante de l’été.  Je ne sais pas pourquoi, une question de métabolisme sans doute.  Mon corps n’aime pas et me le fait sentir durement à chaque canicule.

« Tu viens mon cœur ? »

Je claque la portière de la voiture derrière mon fils.  Il trébuche, se relève et coure vers l’entrée du jardin avant de la propriété de ma tante.  Grand-tante plus exactement, la sœur de ma grand-mère.  Du haut de ses cinq ans, il n’arrive pas encore à soulever le loquet ancien du portail.  Je le laisse passer, il disparaît au détour de la vieille maison.

Que j’aime cet endroit… tant de souvenirs d’enfance…  le cerisier où Fred et moi installions des planches pour nous y allonger et dormir à 4 mètres du sol.  Quand j’y repense aujourd’hui, j’en frémis d’horreur.  Il va falloir que je tienne Thomas à l’œil.

L’herbe est soigneusement tondue, Geert le jardinier a repris du service.  Les nains de jardins, les décorations, attrapes-soleil et autre jouets à vent sont ressortis comme chaque année.  Un peu chargé, mais c’est ce qui fait le charme de l’endroit.

Assourdie par le mur de la maison, je reconnais la voix de Tatie Mary accueillir Thomas.  Ca gazouille, ça rigole.

« Hi, sweet haert ! »

Son visage s’illumine en me voyant approcher du porche.  Ses très longs cheveux blancs sont rassemblés en un immense et compliqué chignon, garni de perles et de plumes.  Je n’y ai jamais rien compris et je crois que ça restera toujours un mystère.  D’aussi loin que je me souvienne, ils ont toujours eu cette couleur nacrée.  Et pourtant, d’après les photos qui tapissent les murs de sa maison, elle était rousse carotte dans ses jeunes années.

Elle me sert chaleureusement dans ses bras en se balançant.  « Tu as l’air si fatiguée Cha’ !!!  Il faut vraiment que tu prennes des vacances ! ».  « Nous sommes bientôt en vacances, Tatie !  C’est presque Pâques. »

Je dépose le carton avec les tartes sur la grande table en bois de la cuisine.  Ca embaume le café et le patchouli, l’intérieur est au-moins aussi chargé que le jardin alentours.  Thomas a déjà disparu dans le grand salon, à moitié enfoui dans ses tonneaux de jouets.  Enfin, les siens et les miens… jaunis et sales, mais fidèlement rangés au même endroit depuis 30 ans.

« Fred est en route, ils ne devraient pas tarder » criai-je en dégageant les revues de décoration rustique, pinceaux et morceaux de bois du plan de travail.  Une grande boîte d’allumettes ouverte tombe sur le sol.  « Tu n’allais pas faire un feu, si ?  Il fait bon maintenant.»

« Non non, juste brûler quelques vieux machins » dit-elle en fermant la porte de la cave du pied.  « Laisse ça, Honey, ce n’est rien, Frédéric ramassera tout ça. »

Je laisse mon regard errer sur la vue du lac que l’on a depuis la large fenêtre de la cuisine.  Comme chaque dimanche, le lac de Genval est envahi par les promeneurs, les voitures sont garées un peu n’importe où et n’importe comment.  J’ai eu de la chance de trouver une place juste devant la maison.

Je note chaque détail de ce début d’après-midi printanier.  Les feuilles du bouleau qui jouent avec les rayons du soleil et projettent une myriade de taches d’ombre et de lumière sur le meuble de l’évier, le coq métallique qui se balance au gré du vent, au milieu du jardin arrière, le bruit du percolateur qui annonce que le café est bientôt prêt.  Moi qui rêve tant de nature et d’ambiances telles que celle-ci, je me demande vraiment comment j’ai pu atterrir dans un immeuble dans le sud de Bruxelles…

Je crois que je ne vais pas pouvoir supporter de vivre en ville encore longtemps…

« Sérieux ???!! » s’exclame une voix joviale.  « Super idée !  Tu reviens quand alors ? »  Fred s’engouffre dans la cuisine en laissant tomber des cartons sur le plan de travail, m’embrasse en retirant son bonnet, pique un cookie au passage et disparaît déjà vers le salon. 

Je ris.  « Je ne sais pas, je n’ai pas dit que j’allais forcément revenir à Genval ».

« Ce serait cool pourtant, histoire de me tenir compagnie chaque fois qu’il part faire ses fichus jeux de rôles là’ ».  Zoé est géniale, lunatique mais drôle, agréable, tant de générosité en toutes occasions, je l’adore.  Notre étreinte est sincère et j’en profite pour humer son parfum que j’apprécie tant, un savant mélange de musk blanc, de violette et de vanille.  Je me demande ce que mon frangin attend pour l’épouser.

Ses longs cheveux noirs en désordre sont attachés sur le côté de son crâne.  Ca lui donne un look mi baba cool mi eighties, avec une touche « bobo » moderne et diva des années 30.  Zoé n’a jamais suivi la mode, c’est ce qui lui donne cette apparence si hors du temps, un peu magique.  Une héroïne tout droit sortie d’un film pour enfant, une Miss Marple de 30 ans.  Une artiste quoi, une vraie de vraie.  Mais malgré son aspect à première vue négligé, rien n’est laissé au hasard.

« Tu as vu ma dernière folie ? »  Elle pointe fièrement une broche style art déco au creux de son décolleté.  « Wouaw, c’est fait en quoi ? »  « Du toc, tu penses !  Mais je trouvais ça joli joli ». 

Tante Mary l’accueille à son tour, ça rigole, ça piaille.  Je note leur ressemblance.  Oui, elles ont exactement le même style au fond, l’une au teint basané des Antilles françaises et l’autre digne héritière de ses origines celtiques anglaises.

 

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