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17 mars 1919 1 17 /03 /mars /1919 00:00

Villars, 17 mars 1919

 

Chère Marie,

 

Ta carte m’inquiète.  Ce rhume qui ne se déclare pas et occasionne des maux de tête, j’ai eu aussi affaire avec lui.  C’est une sorte de grippe, qui n’a rien en commun avec la terrible soi-disant grippe infectieuse.  C’est notre vieille connaissance la grippe qui nous a tant fait de visites depuis des années, avec chaque fois une nouvelle « parure ».  Cette fois-ci, au lieu de commencer par le coryza, elle le précède.

Je t’en parle savamment, depuis 8 jours au lit j’ai pu l’étudier.  Chez moi, les amygdales ont commencé à s’enflammer, enfin, j’ai fait chercher le Dr. qui m’a prescrit des inhalations d’huile d’eucalyptus dans de l’eau bouillante.  Cela a fait merveille : dès la première, le rhume de cerveau s’est déclaré, ce qui a soulagé ma tête.  Penses-y à ton prochain coryza, cela désinfecte la gorge et le pharynx.  Je suis encore au lit très faible, mais sauf la bronchite, cela va mieux.

Quant à Henri, sa grippe est accompagnée d’une crise de gouttes.  Il n’est pas très commode à soigner.

 

Notre pauvre chère Denise est aussi une grande inquiétude pour moi.  Il lui faudra la montagne cet été et la chaise longue tous les jours 1 ou 2h. en plein air au midi.  Avec cela, nous la guérirons : on s’effraie moins des maladies pulmonaires à présent qu’on les soigne si bien par les moyens naturels.  Malheureusement, nous n’avons point de lait et les cartes ne sauraient en tenir lieu.  Du reste, quand on réclame moins même que son dû, le laitier n’a qu’une réponse pour tout le monde : « je m’en f… » c’est l’égalité démocratique.

 

As-tu pu te débarrasser de ta pieuvre ?  Je n’ose l’espérer car une pieuvre, cela s’agrippe et ne lâche rien.  Cependant, cette folle est effrayante.  J’ai toujours gardé l’impression de sa main sur une de ses photos, jamais je n’ai vu des doigts spatulés comme les siens et cela me fait peur.

Voyons !  Ne pourrais-tu t’adresser à la police ?  Elle n’a rien à faire chez toi.  Ou bien lui dire sérieusement que tu demandes sa mise en observation et que cela pourrait la conduire à l’internement en Italie.  Ecris au moins à sa sœur, dis-lui que tu ne peux ni ne veux la garder et que, s’il le faut, tu prendras des mesures.  Ghigo père pourrait faire prononcer la nullité du mariage, mais cela, ce n’est ni toi ni moi qui pouvons le lui demander ; il n’y aurait que Freddy et que de désagréments !  Seulement ce serait la délivrance.

 

Pauvre Marie, la pierre d’achoppement de ta vie a été ta bonté et ta faiblesse.  J’aurais su être plus dure que toi, c’est dommage que je ne t’ai pas dotée de mon d’esprit de combativité – ou bien que je ne sois pas près de toi pour faire maison nette.  Elle sait que tu es bonne et en abuse.  Seulement, il s’agit de ne pas avoir de reproches à te faire au sujet de Denise, et pour cela sois ferme.  Cette inquiétante créature, si elle sait qu’elle peut lui nuire, se cramponnera à vous pour faire le mal.  Or Denise doit être soignée, elle le mérite mieux que ce déchet d’humanité.  Je t’en supplie donc, Marie, n’aie aucun ménagement et, une fois en ta vie, parle net !  Quand tu as consenti à la reprendre, j’ai été très angoissée.  As-tu cru vraiment qu’elle était changée ?  Oui, comme les Boches, pour un petit moment, et le démon est revenu.

Si elle ne veut pas partir, mets-lui toutes ses affaires sur le carré et ferme ta porte à clefs – mais préviens la police, car il y a eu menaces de mort.  Ne l’oublie jamais un instant !

 

 

Bon Dieu !  que la vie est triste !  Augusta est au lit à ce que m’écrit Mme Schmidt ; elle a un abcès dans le ventre.  C’est ainsi que sa mère a commencé sa maladie.  Je l’avais craint l’an dernier à cause de ses terribles hémorragies.

 

J’oubliais presque de te parler de Madeleine.  Je lui avais écrit pour l’inviter à passer les vacances de Pâques ici, mais elle dit qu’elle aime mieux attendre et te voir ici.  Je n’avais pu lui dire que, précisément, c’était pour discuter avec elle de son avenir, alors elle n’avait pas compris mon but.

Elle dit qu’elle ne peut voyager seule : c’est […] en Italie ce n’est pas possible !

Enfin attendons, elle dit qu’au moins cela lui prouve que nous tenons à elle.

 

Adieu ma chérie, me voilà fatiguée d’écrire au lit.

Dis-moi vite que tu as fait maison nette et donne nouvelles de Denise.

 

Nos amitiés.

 

 

                                                        Je t’embrasse

                                                        Maman

 

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