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17 septembre 1920 5 17 /09 /septembre /1920 00:00

Villars, 17 septembre 1920

 

Chère Marie,

 

J’ai annoncé à M. Veyrassat l’assist. judic. que tu as obtenue.  Il me répond que Me Bovay est un avocat très capable et très consciencieux.  L’assist. judic. ne déploie pas ses effets rétrospectivement (dommage) en sorte qu’il faut payer le tribunal, le greffier et l’avocat (ta part).  S’il reste quelque chose sur le billet de 100fr envoyé à V, je te l’enverrai, car j’ai passé cette somme par profits et pertes.  En attendant, je t’enverrai aujourd’hui ou demain un petit mandat de f.25, le change est bas, cela te fera en tous cas 51fr.

 

Je me suis mise à la disposition de M. Bovay pour tous renseignements mais il recevra de Veyrassat toutes les pièces du dossier, y compris mon résumé ce qui le mettra au courant.  S’il le faut, j’irai à Lausanne.

 

Avant d’aller plus loin, j’ai attiré l’attention de M. Bovay sur quelques points qu’il éclaircira.  Voici en substance :

« 1°- G. a-t-il obtenu sa naturalisation suisse, en ce cas, comment n’en as-tu pas été informée.

2°- Si non, comment le Trib. de Vevey peut-il entrer en matière sur une demande de divorce faite par un sujet italien, pays où le divorce n’est pas admis ?

3°- L’Italie a-t-elle avec la Suisse un traité reconnaissant la jurisprudence de la Suisse en matière de divorce : il existe dans la loi fédérale un art. 7.h. qui réclame la preuve que les tribunaux étrangers reconnaîtront le jugement suisse.

4°- En raison de ce qui précède, le divorce n’est pas passible et serait, en tous cas, frappé de nullité par l’Italie.  N’y aurait-il pas lieu, pour éviter un procès inutile, de faire déclarer le Trib. de Vevey incompétent ?

Non que Mme G. se refuse au divorce, au contraire, mais si ce procès n’avait aucun aboutissement passible, il conviendrait de l’éviter. »

 

Il y a eu des cas où le divorce prononcé en Suisse n’a pas été admis par la France, malgré le traité existant.  Alors, s’il n’y a pas de traité avec l’Italie, le divorce est impossible.

Sans doute, au point de vue financier, cela te serait égal, puisque tu n’as rien à payer.  Mais il y a le procès, avec l’étalage des griefs du sieur Ghigo, et si le procès est annulé par l’Italie, cela ne sert qu’à nous embêter.  Je suppose que G. sait à quoi s’en tenir, mais, dans le but de ne pas être inquiété au sujet de son ménage irrégulier, il veut prouver qu’il a fait son possible pour se débarrasser d’une épouse coupable pour en épouser une meilleure.  Il paraît qu’il s’attend à ce que tu t’opposes au divorce et doit être déjà d’une belle rage en voyant le procès renvoyé et le Pro Deo accordé !

Si le Trib. de Vevey est déclaré incompétent, il faudra qu’il abandonne l’affaire ou qu’il t’attaque devant les trib. italiens.  Cela va lui coûter une somme folle et traîner encore longtemps, surtout à présente que l’Italie est en révolution.  On verra ce que Bovay dira de cela.

Il est évident que si tu veux laisser le procès suivre son cours, il le suivra.  Mais si G. n’est pas Suisse, c’est une affaire inutile.

 

Nous sommes toujours dans nos embarras financiers.  La Banque cantonale veut être remboursée de 7000fr au 30 de ce mois.  Où les prendre ?  Tout ce qu’H. peut faire, c’est de lancer un gâteau à Cerbère sous forme de qques centaines de fr. en attendant qu’il vende sa maison.  Il a des offres, mais la Banque acceptera-t-elle ?

C’est pour cela que je t’envoie si peu d’argent, car il faut toujours s’attendre à quelque catastrophe et il faut vivre.  Qui sait si je pourrai aller à Brx. cet automne.

 

Alors le pauvre petit Malou compte sur moi pour vous remonter le moral ?  Hélas !  elle n’est pas la seule.  Mme Schwerzmann m’écrit des lettres lamentables, pourtant elle est moins à plaindre que nous tous.  Et la pauvre Cyla, qui a débarqué du pays des dollars croyant trouver une Suisse en pleine prospérité !  Elle ne trouve de situation nulle part : ses amis qui, à distance, étaient charmants, se tiennent sur la réserve, ayant peur qu’elle ne leur tombe sur le dos.  Ses frères pour lesquels elle est revenue en Europe font les récalcitrants pour se mettre en ménage avec elle.  Enfin, elle a fait une chûte profonde et ne peut réaliser que sa patrie la repousse.  Elle me demande conseils et consolations.  Pauvre Cyla, elle avait tant d’illusions.

 

Cela me navre si je ne puis aller à Brux.  Je crois en effet que je ne serais point inutile, si mes forces se maintiennent ce qu’elles sont.  Je fais joliment de besogne et puis, si j’ai parfois des défaillances morales, je tâche qu’on ne s’en aperçoive pas trop, car les autres, qui sont en pleine tourmente, ont besoin de voir un peu de sérénité autour d’eux.

 

Si au moins les baux de mes locataires étaient renouvelables à présent, cela me donnerait une jolie somme car je les augmente tous, mais c’est pour le 1° juin seulement.  C’est qu’il ne s’agit pas d’être une charge pour ton ménage, au contraire.

Je ne peux m’empêcher de ronchonner quand je vois la Suisse jeter des millions pour entretenir des enfants Boches, et que les Suisses ne trouvent aucune aide.

 

Si la Banque est intraitable, Henri se trouvera sur le pavé, et le chômage règne partout, et voici venir l’hiver…

Toutefois, il s’agit de ne pas perdre la tramontane.  Peut-être que quelque aubaine inattendue me permettra de te donner une aide plus efficace.

 

La pauvre Nison est sans doute trop fatiguée à l’hôpital.  Dis-lui de résister autant que possible à ses nerfs.  Peut-elle se promener au grand air ?  Pauvre petiote, elle a été si courageuse.  Il n’y a pas à dire, les femmes dans notre famille ont vaillamment combattu avec des armes de second choix !

Mais dis-lui de se remonter à force de volonté, et à Madelon aussi.  La pauvre bouèbe qui ne savait rien des soucis d’argent !

Enfin, nous allons faire comme les fourmis quand elles ont à porter un trop gros brin de paille : on se mettra à plusieurs.

 

Je vais faire l’impossible pour trouver moyen de t’aider, car je m’inquiète en pensant que tu veux reprendre tes leçons !!  Si au moins nous pouvons passer l’hiver sans trop de souffrances, cela ira mieux au printemps.

Peut-être tirerais-je en Janvier des honoraires pour notre littérature (y compris le « Monégasque »).

Enfin, ne nous décourageons pas et cherchons la porte de sortie.

 

Ne te fatigue pas à m’écrire, une carte suffira, à moins que tu ne me parles du procès.  N’écris à Bovay que le strict nécessaire pour ne pas te fatiguer, car il a mon mémoire qui est assez complet, et puis, je le renseignerai.

 

A bientôt mieux.  Je vais me reposer un peu les yeux et après midi je redoublerai ma jaquette de « chez Wilson » qui arrive à point pour passer l’hiver.  Mais on m’a demandé 8fr !! pour laver ce costume !  C’est affreux !

Ma foi, si je vais à Brux, je ne serai pas tant bien mise, mais je « raserai les murs » quand je sortirai de jour.  A Villars, il n’y a pas besoin de toilettes, tout va.

 

Ma pauvre !  Dieu sait comment vous êtes habillées !  Enfin !  il faut prendre son parti de la misère, ce n’est pas notre faute.  Si au moins je pouvais mieux t’aider !

 

Je vous embrasse chaudement toutes les trois, en espérant, et en voulant, que cela aille mieux sur toute la ligne.

 

 

                                                                                 Maman

 

 

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22 juillet 1920 4 22 /07 /juillet /1920 00:00

Villars, 22 juillet 1920

 

Chère Marie,

 

Je reçois ta carte ce matin ; elle s’est croisée avec ma lettre.  Dire, ma pauvre enfant, que je ne puis te venir en aide !  J’ai dans 6 semaines 1210 fr à payer et je n’en ai que 250 !  Pour achever, une circulaire de la banque cantonale à Henri, prévenant qu’ils exigent le remboursement de leurs prêts au 30 septembre.  Trouver 7000 fr quand on n’en a pas pu trouver 1000 !  Ce sera l’expropriation et la vente faite par la Banque qui rachètera en sous-main, peut-être pour 15 à 20.000 fr une maison qui en vaut 40.000.  Avec ces bénéfices légaux, oh ! combien ! les banques bâtissent des palais.  Comme c’est comme cela partout, il ne faut pas s’insurger, mais H. qui a lutté 6 ans pour rien, sortira de là sans un sou vaillant !

Quant à moi, je lui ai aidé pour éviter la faillite, et je suis à fond de cale.  Nous avions qq. pensionnaires que nous avons congédiés, car on ne gagnait rien, on perdait même à f.9 par jour.  Et il y a des gens qui en prennent à 6.50.

Il semble que tout sombre, et pour me donner le dernier coup de matraque, Mme Mathilde choisit ce moment pour me faire des [avaries ?] pires que celles que j’ai supportées.  Elle m’a traitée de crampon pour une simple question que je lui avais faite.  Peu à peu, elle m’a chassée et je n’exagère pas.  Elle peut être horrible quand elle se met à haïr quelqu’un.  La pauvre Any en a su quelque chose.

A présent, je n’y remets plus les pieds.  Elle avait pris l’habitude de me bousculer en criant pardon ! comme si elle lançait une injure.  Puis, comme je ne disais rien, elle a été plus loin.

A présent que j’ai donné tout mon argent, elle voudrait me chasser comme elle a chassé la pauvre Any.  Elle a des haines féroces.

 

Rose ne me parle plus, on voit qu’elle lui a bourré le crâne, ou bien elle hausse les épaules.  Jamais je ne l’aurais soupçonnée d’être aussi mauvaise.  Si au moins elle ne disait pas des mensonges à Henri.

Enfin !... je ne t’apprends rien, et quoi qu’on fasse, toujours les belles-mères auront tort.

 

J’ai été hier au lit, malade de chagrin, et j’ai tellement maigri que mes habits ne me tiennent plus sur le corps.  Je voulais me mettre à faire ma popote mais j’ai eu peur de faire de la peine à Henri et je mange avec eux.  A table, elle est avec moi d’une politesse !  C’est pour les yeux d’Henri.  Cette femme a une fringale de flatteries et d’admirations que je ne peux plus contenter.  Comme elle a caché son jeu ! et moi, bêtement, je m’évertuais à lui faire plaisir et des petits cadeaux.  C’est bien fini à présent.  Tu sais, je ne donne plus même de vos nouvelles ; elles sont accueillies avec un suprême dédain.

 

Que faire avec ton procès ?  Je suis si découragée que je n’ai plus la force d’y penser.  Je pense qu’il faut laisser l’avocat déposer son mémoire et c’est tout.  On te condamnera, c’est certain (la justice !!) mais tu refuseras de payer.  En tous cas, tu seras débarrassée à tout jamais de cet ignoble personnage.

 

Je pense tâcher de vendre des meubles en septembre, mais il y en a tant à vendre partout !  Et alors je tâcherai de t’aider un peu.  J’ai vendu déjà mes bijoux et quelques meubles, mais cela fait si peu d’argent.

 

Oh ! ma pauvre Marie, combien nous sommes malheureuses !  Si j’avais au moins un peu d’énergie, mais les méchancetés de cette créature m’ont mise en bas.  Et tous ces soucis !

Je ne sais si mes locataires pourront me payer, les affaires vont si mal.  Et j’ai le couvreur à payer.  Enfin, n’en parlons plus !

 

Ma Camille [Laudé ?] va s’en aller, au moins elle me l’a promis.  Elle frappe la nuit à toutes les portes, disant qu’on fait du bruit, ennuie tout le monde.  Elle a lancé un soulier à la tête de deux gamins, sous prétexte qu’ils se moquaient d’elle.  « La folie des persécutions » dit d’un air douceâtre Mme Mathilde, pour commencer à faire croire que j’en suis atteinte.  Tu m’excuseras, je ne voulais pas t’en parler de peur de t’agiter, mais égoïstement, je constate que cela m’a soulagée.  Alors ne te tourmente pas, car une fois ressaisie, je ferai face.

Si au moins je t’avais ici, nous serions ensemble et l’air te ferait du bien.  Que c’est long cette maladie.  Si au moins on en voyait bientôt le bout !

 

Une petite nouvelle agréable pour finir. mes « Gens de [Piogreville ?] » sont acceptés par « Mon Chez Moi » à f.4 la page.  Malheureusement cela ne paraîtra que l’année prochaine.  Ton « Monégasque » est accepté aussi mais la Fourmi (qui n’est pas prêteuse) paie peu.  Ce sera peut-être cent sous, mais cela vaut mieux que rien.  D’autres petites choses acceptées aussi.  Ce sera toujours pour s’acheter une chemise ou des espadrilles !

 

Si je n’avais pas le cerveau embrumé par les soucis, j’écrirais une histoire [mônnière ?].  Pourtant, cela m’occuperait à présent que je suis comme Agar au désert !  C’est humiliant de trafiquer de sa plume sous la bannière du bon Dieu !  J’ai l’air de Guillaume !

 

A propos : le suicide de Joachim, n’est-ce pas le châtiment qui continue ?  Mais voilà encore des restes de calvinisme.  Le Châtiment !  De quoi sommes-nous bien punies pour être si malheureuses ?  Et la pauvre Melle Douard, était elle punie d’avoir, par charité, élevé son ignoble neveu ?

 

Je commence à emboîter le pas derrière Flammarion qui voit les mentalités étranges d’à présent à travers les taches du soleil.  Il faut bien expliquer les aliénations mentales et l’affaiblissement cérébral, car il y en a trop.

 

Mais je dois mettre le point final, je t’ai bien fatiguée peut-être ?  Je tâcherai d’être plus gaie une autre fois.

 

Amitiés aux enfants, et prend courage, il y a une fin à tout.

Je t’embrasse mille fois

 

                                                                                 Maman

 

 

Je viens de dîner.  Mme V. junior n’a pas paru à table.  Elle attendait que je fusse loin, aussi je me suis dépêchée.  C’était facile vu l’appétit peu féroce !  Dire qu’un peu d’argent seulement m’empêche d’aller te rejoindre, mais il faut payer mes 1210 f et vivre !

 

 

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23 mai 1920 7 23 /05 /mai /1920 00:00

Villars, 23 mai 1920

 

Chère Marie,

 

J’ai toujours attendu depuis quelques jours, espérant avoir quelque chose de réconfortant à t’annoncer, comme qui dirait un rayon de jour dans les ténèbres, mais rien !  Nous barbotons en pleine purée !  Et ce qui me chagrine le plus, c’est de ne pouvoir mieux te soutenir dans ta longue épreuve.

 

Mon dernier mandat représentait une pétroleuse que j’ai vendue, et je me demande comment je ferai pour t’envoyer de l’argent.  Car il y a encore ton avocat qu’il faudra payer, quelle que soit l’issue du procès.

A propos, je ne sais rien : Veyrassat ne m’a rien écrit.  Je pense que l’affaire a été renvoyée.  J’ai insisté sur ton incapacité à payer.

 

Enfin, il faut attendre.  La loi de divorce va passer aux chambres italiennes, peut-être G. l’attendra-t-il.  Mais s’il recommence un nouveau procès après celui-là, avec frais à ta charge, ce sera plus que « meulant ».

Cet hurluberlu nous aura, au moins, assez ennuyés.

 

Voilà presque six mois que nous cherchons à emprunter de l’argent pour faire face à la situation, mais toutes les banques nous refusent.  On a pourtant taxé ma maison à 80.000f au cadastre et 7.000f taxe vénale.  J’offre donc une garantie nette de 50.000f plus le mobilier.  Henri garantit 12.000 et sur ces 60.000fr au bas mot, on me refuse 2.000f.

Le Crédit Foncier a menacé Henri de poursuites.  Il a fallu vite envoyer 200f à compte pour leur boucler le bec.

 

Et comment faire pour reprendre les affaires ?  Il faut des marchandises, payer les patentes et enfin remettre en train.

J’avais espéré qu’Henri reprendrait des pensionnaires, car mes chambres sont si jolies avec tout ce que nous y avons fait, mais si nous ne trouvons pas d’argent, il me faudra faire une vente de meubles, car si Henri ne peut pas payer ses intérêts et moi les miens, on peut nous saisir nos immeubles les vendre à vil frise (en ce cas, les caisses hypothécaires font racheter en sous-main) et le pauvre débiteur exproprié est réduit à la misère.

Dans ces conjectures, il me faut toute mon énergie et mon savoir-faire pour nous tirer de là.  Surtout cette année, il n’y aura aucun étranger en Suisse à cause du change.  Ce sera pire, bien pire que pendant la guerre.

Nous avons encore dû nous restreindre, ne pas sortir pour ménager nos restes de vêtements et supprimer le thé de 4 heures.  Mais ne crois pas que je perde courage, c’est un mauvais moment à passer et j’en ai tant passé dans ma vie qu’un de plus ne me fait pas peur.

 

Math et moi nous faisons des matelas et je vais peindre mes lits de sapin pour pouvoir les vendre à un bon prix, s’il faut en passer par là.

Ce qui m’inquiète bien plus c’est ta santé, le moment des vacances qui s’approche,  et que je ne peux pas t’aider comme je le voudrais.  Il me semble toujours que je dois trouver un moyen.  Il le faudra bien.

 

En tous cas, ne te tracasse pas avec ce que je te dis ; je ne t’en aurais pas parlé si je ne devais t’expliquer pourquoi mes envois d’argent sont si maigres.  Hélas ! c’est la faute à Guillaume !

 

Je t’envoie deux photos où ta mère a l’air toute guillerette malgré la dureté des temps.  Any a l’air d’un « Bettlerstudent » et Math d’être dans les 6èmes dessous.  Melle Poutet un peu sorcière…  Au fait, c’est moi qui suis la mieux…

J’ai découvert deux timbres de la Paix que je t’envoie, on n’en trouve plus.

 

J’ai reçu hier le faire part du décès de Mme Gonin, on l’ensevelit aujourd’hui.  Outre cela, la vie est toujours si monotone ici que par moment cela semble insupportable.  Même l'entrée de la Suisse dans la Soc. des Nations qui a mis sens dessus dessous toute la Suisse romande a passé calmement ici.

Tout le monde gémit qu’on s’ennuie, et les figurent s’allongent.

 

Excuse-moi si je change de papier, je n’en ai pas d’autre sous la main.  Du reste, j’ai peu de chose à ajouter, et mes yeux se fatiguent.  J’écris sans lunettes, tu sais, je déteste écrire avec des besicles sur le nez, cela me coupe l’inspiration.

A propos, j’ai découvert à la pharm. Engelmann un collyre Nobel qui est merveilleux.  Cela ne guérit pas mais cela ôte toute l’inflammation, c’est un vrai soulagement.

 

Alors, Jack est de nouveau sortie de sa Box ?  Ce que F. aurait de mieux à faire c’est de divorcer aussitôt que la loi aura passé en Italie.  Sans doute, il devra toujours payer une pension, mais au moins elle n’aura plus aucun droit sur lui.  Quelle benêt, aller s’encombrer d’une pareille folle, et par surcroît, avoir un enfant !

 

Avec ces charges, comment te venir en aide ?  Cela me met hors de moi d’y penser.

 

Comment va Madelon avec ses maux d’estomac ?  Peut-elle au moins donner un certain nombre de leçons ?  Embrasse la bien pour moi et la vaillante Denise aussi.

Any est très bien tombée à Yverdon, on est bon pour elle.  Si au moins elle pouvait apprendre un peu l’économie et ne pas s’acheter des bas de soies qu’elle jette loin pour ne pas les raccommoder.  Elle sait pourtant que c’est une nécessité d’économiser par le temps qui court.

 

Que te dit ton docteur ces temps ?  Te sens-tu vraiment un peu mieux ?  Je pense que ton état ne redeviendra normal qu’après la crise d’âge.  Tu seras alors probablement mieux qu’auparavant.

Enfin, courage ma pauvre chère Marie, il s’agit de faire face à tout sans défaillance.  Je trouverai bien un moyen de te venir en aide ; je ne dis pas tout de suite, mais le plus tôt que je pourrai.

Quand j’aurai pu vendre quelques meubles, cela me mettra un peu au large.

 

Adieu ma chérie, je t’embrasse de tout cœur.

Et encore une fois courage.

 

 

                                                        Maman

 

Lance-moi une carte pour me donner de tes nouvelles.

Nous attendons demain une locataire qui viendra voir un magasin qu’H. a fabriqué dans la véranda.  C’est lui et Math. qui ont placé la menuiserie.

                                                                          

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6 mai 1920 4 06 /05 /mai /1920 00:00

Villars, 6 mai 1920

 

Chère Marie,

 

Je reçois ta lettre : la procuration que tu m’envoies ne sert absolument à rien.  D’abord mon intervention ne doit pas y figurer, tu ne peux te faire représenter que par un avocat, personnage officiel, ensuite ta signature doit être légalisée par un juge de Paix.  Sans cela elle est sans valeur.

J’ignore si en Belgique on exige le timbre.  Freddy devra s’en informer et se charger des démarches.

 

Encore une chose, tu dis : « je l’autorise à toutes les mesures jugées nécessaires pour ma défense au cas où je serais condamnée aux dépens ».  Mais ma pauvre, si tu es condamnée aux dépens, c’est trop tard pour « prendre des mesures ».

 

Il n’y a plus qu’à payer ou à faire casser le jugement – avec grands frais – car tu pourrais être condamnée en cassation à tout payer.

Mais tu peux produire un acte de défaut de biens.

Envoie F. se renseigner et envoie une procuration légalisée au nom de Me Veyrassart ton avocat.  Je crois que nous aurons le temps si le délai demandé par M. de Muralt est accordé.

 

Toutefois, il serait bon d’avoir la procuration pour le retour de M. Veyrassart afin qu’il puisse agir.  Je pense qu’il est inutile de charger ta lettre, puisque les grèves sont finies.

Mon mémoire est prêt, je l’ai appuyé par qques lettres prouvant que la séparation a été faite à l’amiable et non à la suite d’une scène.

 

G. voudra te faire condamner, d’abord par muflerie, puis parce qu’il espère avec ce jugement obtenir sa naturalisation et ensuite son divorce.  Je ne vois pas autre chose.

 

Ne te tourmente pas, c’est nécessaire que je te tienne au courant, mais ne t’agite pas.  Veyrassart est un homme froid et lucide qui verra les points faibles de l’attaque et les arguments de la défense.

 

J’ai eu encore une déception : le Crédit Foncier me refuse un prêt de 2000f garanti sur ma maison.  Entre Henri et moi, nous pouvons donner 110000f en garantie et on nous en refuse 2000 !  C’est te dire le gâchis financier qui règne en Suisse grâce aux spéculations des banques.  Les hôtels, les fabriques, les commerces se ferment les uns après les autres.  Et la vie ne baisse pas.

On quête pour les Russes, les Autrichiens, on reçoit des petits Boches affamés par centaines, et pendant ce temps les Suisses peuvent allonger leurs dents.  C’est honteux !  Parce que nos banques jouent à la baisse.

 

A propos de baisse, je ne puis rien t’envoyer en ce moment, mais je tâcherai de le faire si tôt que je le pourrai.  Cela m’ennuie tant d’être si pauvre !  Pas pour moi, qui n’ai besoin de rien, mais pour mes enfants.

 

Melle P. vient de partir pour son procès, qu’elle perdra sans doute ainsi que son argent.  Quelle purée que celle où s’enlise l’Europe !  C’est égal, il faut rester ferme.  Mes 74 ans sont encore là, et sois tranquille j’ai la vie dure.

 

Au revoir ma chère petite.

Amitiés à tous

 

 

                                                        Maman

                                                       

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30 avril 1920 5 30 /04 /avril /1920 00:00

Villars, 30 avril 1920

 

Chère Marie,

 

Ne te tourmente pas, nous aviserons.  Envoie-moi seulement tout de suite une procuration au nom de M. A. Veyrassat avocat à Montreux.  J’irai le voir lundi, je rédigerai un mémoire des faits qu’on peut prouver et Veyrassat fera le reste.  Il faudra bien que G. prouve qu’il a envoyé des papiers le 27 janvier.

 

Autre chose : il a commis une indélicatesse à Vevey envers son chef d’orchestre et a été de ce fait condamné aux Prud’hommes, et puis il vit ouvertement en concubinage à Vevey et la loi le défend.  Il s’estimera heureux s’il n’est pas expulsé comme indésirable.  C’est un ineffable imbécile comme il l’a toujours été.  Tu sais si ses calculs ont jamais réussi !

V. a encore en main le papier par lequel il renonçait à ses droits sur toi, et la bague.  Enfin, s’il y a prescription pour ses griefs contre toi, il y en a de plus récents contre lui.

 

Envoie aussi le papier que tu as reçu.  Il faut encore voir si cette erreur : Madeleine [] Denise n’est pas destinée à faire passer la 1re pour illégitime, en vue de l’héritage Vauban.

 

Je verrai Veyrassat et te dirai le résultat.  Il ira sans doute voir le Pt du tribunal et fera une enquête discrète.

En tous cas, refuse énergiquement de payer.  G. n’a jamais entretenu sa famille et même les 500fr de l’héritage d’Annette dont il n’a jamais rendu compte à F., où ont-ils passé ?  C’est un vulgaire coquin qui veut se venger sur toi d’avoir perdu Mad. (le gage de l’héritage !!)

 

Donc, une fois la procuration envoyée, calme toi, soigne toi, nous ferons le nécessaire mais nous te défendrons.

 

Je dois expédier ceci tout de suite, si cela peut encore passer avant la grève.

 

A bientôt mieux, mais ne perd pas de temps – car il faut agir de suite.

Nous t’embrassons de tout cœur

 

 

                                                        Maman

                                                

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18 juin 1919 3 18 /06 /juin /1919 00:00

Villars, 18 juin 1919

 

Chère Marie,

 

J’ai tant de choses à te dire que je ne puis attendre de te les communiquer.

D’autant plus que les lettres mettent un temps.

Ce matin, j’ai reçu ta lettre du 12 juin et carte du 18.  Elles mettent moins de temps pour venir de Belgique que pour y aller.  Il y a quelques jours, je t’ai adressé une lettre chez Mme Van Molle, car je supposais que ta boîte aux lettres n’était pas sûre : je t’ai écrit si souvent sans que tu reçoives rien.

 

Nous avons de la chance d’avoir un parent conseiller national, sans cela, tu ne recevrais pas souvent ton passeport !  Je viens d’envoyer la demande à l’Office des Etrangers à Berne.  C’est Ed. lui-même qui la portera avec pressante recommandation.  De même, quand tu retourneras à Bruxelles, tu pourras facilement emporter la literie et ce qui te sera nécessaire etc.  Ed. te facilitera, d’autant qu’il est au mieux avec le Ministre de Belgique à Berne.

 

Autre nouvelle : Henri a vu Mr. G. à Vevey.  Il a l’intention de se faire naturaliser afin d’obtenir le divorce, après 17 ans de séparation, il n’y aura pas besoin de remuer de vieilles histoires.  Quoique cela arrive bien tard, je pense que tu n’en seras pas fâchée.

Maintenant, il aurait l’intention de demander la nullité du mariage de Freddy.  C’est facile, F. ayant contracté son mariage sans autorisation paternelle.  Cela solutionnerait bien des choses et te libèrerait.  Mr. G. estime que ce n’est pas à toi à supporter les conséquences de la sottise de F.  Henri l’a trouvé très raisonnable.  Il a appris à Henri la mort de Benjamino qui s’est jeté par la fenêtre à Nice pendant une grippe compliquée de pleurésie purulente.

 

Ce matin (j’ai reçu 8 lettres !) Cyla m’écrit de New York qu’elle t’a expédié un colis de vêtements de bébé, mais si « Jack in the box » est si difficile pour ses vêtements, elle ne s’en contentera peut-être pas ?  En ce cas, tu trouveras sûrement une maman moins exigeante.

Cyla me dit qu’elle a mis un peu de toile de coton pour toi dans le paquet et aussi un peu de thé, mais elle me demande si c’est ridicule.  Cette bonne Cyla n’a pas à se gêner.  Dans les temps où nous vivons, il n’y a aucune marque de solidarité ridicule !  Si le coton te parvient, cela sera comme marée en Carême !

On peut envoyer d’Amérique en Belgique, mais pas en Suisse.  Tu peux rassurer les Belges : on ne meurt pas de faim en Suisse, seulement tout est très cher, surtout la viande et les produits de laiterie sont rares.

Je pourrais t’en dire long et te parler de nos rages, mais à quoi bon ?  On a vu partout des accapareurs et des profiteurs.

 

Je suis fort inquiète de savoir comment tu te débarrasseras des exigences de ton propriétaire.  Et quand tu viendras, laisseras-tu Jack reine et maîtresse chez toi ?  Elle est dans le cas de déménager les meubles en ton absence.

Prends tes sûretés.  Recommande à F. de conserver les lettres de menaces qu’il reçoit, ce sera des arguments en cas de procès en dissolution de mariage.

Coûte que coûte il s’agit de se débarrasser de cette créature malfaisante.  Du reste, tu ne lui dois rien.

 

Dis-moi au plus tôt à peu près à quelle date tu penses venir, afin que je puisse l’indiquer à Berne si c’est nécessaire.

 

Henri n’a encore rien trouvé, il est dans un souci extrême.  Pour s’établir ailleurs, il lui faudrait des fonds et il n’en a pas.  S’il n’avait pas loué sa maison, la Soc. De Consommation la lui aurait achetée.

 

Il faut que je m’arrête, vu mes yeux.  Remarque, au début de ma lettre, je n’ai pas vu que mon papier allait plus loin, ma vue baisse, baisse. Enfin !

L’encre mauve est dans un des nombreux encriers laissés chez moi par les officiers belges.  J’ai du reste renversé hier un encrier d’encre bleue sur un tapis de table.  Moi qui déteste les taches d’encre !  Mais j’ai pu le détacher, en y mettant le temps.  Je fais tant de sortes d’ouvrage.  En venant, apporte des choses à réparer, je t’aiderai, il y a des jours où je vois encore assez bien.

 

19 juin

J’ai eu ce matin la visite de Mme Quessin ( ?) de Bruxelles, qui m’apportait les salutations de Freddy.  Nous avons naturellement beaucoup parlé de la Belgique où elle va retourner.  Elle avait pu assez rapidement avoir son passeport, grâce à de hautes protections.  Je m’attends donc à recevoir pour toi l’autorisation de venir en Suisse, mais je ne voudrais pas que le papier s’égare, donc je l’adresserai à Monsieur Glardon qui te le fera parvenir.  Avec cela, tu pourras partir quand tu voudras.

 

Mr. G. a parlé à Henri de Madeleine qui est, paraît-il, forte et robuste.  Il compte toujours pour elle sur l’héritage de Camille.  Ce sera un héritage qui, s’il lui parvient, sera chèrement acheté.  Enfin !  On devient fataliste, et l’on se dit que, soit que l’on passe sa vie d’une manière, soit d’une autre, les chagrins ne vous manquent jamais.  Chacun a son lot, comme pour les colis d’Amérique ; heureux encore quand il y a quelque chose d’utilisable !

 

Le temps est chaud et orageux, tu dois en souffrir à Bruxelles ; je me souviens du printemps 1914.  Henri dit qu’en plaine on suffoque et Eugénie m’écrit qu’elle n’en peut plus.  Pourvu que rien ne t’empêche de venir.  On est tellement habitués aux catastrophes qu’on les attend presque et, du reste, il faut s’attendre à tout.

 

Quand tu viendras, ne prends que le strict nécessaire ; il y a une légère baisse sur les cotons, et nous te ferons 2 ou 3 chemises.  Tu pourras aussi emporter des draps de lit et du nappage, car j’en ai assez pour t’en donner, avec coussins, duvets et matelas et couvertures laine.

 

Il faut que je m’arrête afin de me ménager la possibilité de raccommoder des bas pendant que j’y vois assez.  J’aurais tant de choses à faire mais, bon gré, mal gré, je dois faire la journée des socialistes la plus courte possible.  Pauvres gens qui ne savent pas encore que le travail est la suprême consolation.  Surtout qu’ils sont bien payés à présent.

C’est quand les facultés baissent qu’on comprend la valeur morale et sociale du travail.  Enfin, espérons qu’ils le comprendront.

 

A propos : ton ex-mari croit au progrès de l’humanité et au perfectionnement moral des peuples !!  Après cela, tirons l’échelle.

 

Je te dis adieu pour cette fois, espérant que cette lettre te parviendra.

 

Amitiés à Denise de nous tous.  Je t’embrasse de tout cœur.

 

 

                                                        ta maman

                                                      E. Versel

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17 mars 1919 1 17 /03 /mars /1919 00:00

Villars, 17 mars 1919

 

Chère Marie,

 

Ta carte m’inquiète.  Ce rhume qui ne se déclare pas et occasionne des maux de tête, j’ai eu aussi affaire avec lui.  C’est une sorte de grippe, qui n’a rien en commun avec la terrible soi-disant grippe infectieuse.  C’est notre vieille connaissance la grippe qui nous a tant fait de visites depuis des années, avec chaque fois une nouvelle « parure ».  Cette fois-ci, au lieu de commencer par le coryza, elle le précède.

Je t’en parle savamment, depuis 8 jours au lit j’ai pu l’étudier.  Chez moi, les amygdales ont commencé à s’enflammer, enfin, j’ai fait chercher le Dr. qui m’a prescrit des inhalations d’huile d’eucalyptus dans de l’eau bouillante.  Cela a fait merveille : dès la première, le rhume de cerveau s’est déclaré, ce qui a soulagé ma tête.  Penses-y à ton prochain coryza, cela désinfecte la gorge et le pharynx.  Je suis encore au lit très faible, mais sauf la bronchite, cela va mieux.

Quant à Henri, sa grippe est accompagnée d’une crise de gouttes.  Il n’est pas très commode à soigner.

 

Notre pauvre chère Denise est aussi une grande inquiétude pour moi.  Il lui faudra la montagne cet été et la chaise longue tous les jours 1 ou 2h. en plein air au midi.  Avec cela, nous la guérirons : on s’effraie moins des maladies pulmonaires à présent qu’on les soigne si bien par les moyens naturels.  Malheureusement, nous n’avons point de lait et les cartes ne sauraient en tenir lieu.  Du reste, quand on réclame moins même que son dû, le laitier n’a qu’une réponse pour tout le monde : « je m’en f… » c’est l’égalité démocratique.

 

As-tu pu te débarrasser de ta pieuvre ?  Je n’ose l’espérer car une pieuvre, cela s’agrippe et ne lâche rien.  Cependant, cette folle est effrayante.  J’ai toujours gardé l’impression de sa main sur une de ses photos, jamais je n’ai vu des doigts spatulés comme les siens et cela me fait peur.

Voyons !  Ne pourrais-tu t’adresser à la police ?  Elle n’a rien à faire chez toi.  Ou bien lui dire sérieusement que tu demandes sa mise en observation et que cela pourrait la conduire à l’internement en Italie.  Ecris au moins à sa sœur, dis-lui que tu ne peux ni ne veux la garder et que, s’il le faut, tu prendras des mesures.  Ghigo père pourrait faire prononcer la nullité du mariage, mais cela, ce n’est ni toi ni moi qui pouvons le lui demander ; il n’y aurait que Freddy et que de désagréments !  Seulement ce serait la délivrance.

 

Pauvre Marie, la pierre d’achoppement de ta vie a été ta bonté et ta faiblesse.  J’aurais su être plus dure que toi, c’est dommage que je ne t’ai pas dotée de mon d’esprit de combativité – ou bien que je ne sois pas près de toi pour faire maison nette.  Elle sait que tu es bonne et en abuse.  Seulement, il s’agit de ne pas avoir de reproches à te faire au sujet de Denise, et pour cela sois ferme.  Cette inquiétante créature, si elle sait qu’elle peut lui nuire, se cramponnera à vous pour faire le mal.  Or Denise doit être soignée, elle le mérite mieux que ce déchet d’humanité.  Je t’en supplie donc, Marie, n’aie aucun ménagement et, une fois en ta vie, parle net !  Quand tu as consenti à la reprendre, j’ai été très angoissée.  As-tu cru vraiment qu’elle était changée ?  Oui, comme les Boches, pour un petit moment, et le démon est revenu.

Si elle ne veut pas partir, mets-lui toutes ses affaires sur le carré et ferme ta porte à clefs – mais préviens la police, car il y a eu menaces de mort.  Ne l’oublie jamais un instant !

 

 

Bon Dieu !  que la vie est triste !  Augusta est au lit à ce que m’écrit Mme Schmidt ; elle a un abcès dans le ventre.  C’est ainsi que sa mère a commencé sa maladie.  Je l’avais craint l’an dernier à cause de ses terribles hémorragies.

 

J’oubliais presque de te parler de Madeleine.  Je lui avais écrit pour l’inviter à passer les vacances de Pâques ici, mais elle dit qu’elle aime mieux attendre et te voir ici.  Je n’avais pu lui dire que, précisément, c’était pour discuter avec elle de son avenir, alors elle n’avait pas compris mon but.

Elle dit qu’elle ne peut voyager seule : c’est […] en Italie ce n’est pas possible !

Enfin attendons, elle dit qu’au moins cela lui prouve que nous tenons à elle.

 

Adieu ma chérie, me voilà fatiguée d’écrire au lit.

Dis-moi vite que tu as fait maison nette et donne nouvelles de Denise.

 

Nos amitiés.

 

 

                                                        Je t’embrasse

                                                        Maman

 

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27 janvier 1919 1 27 /01 /janvier /1919 01:00

Villars, 27 janvier 1919

 

Chère Marie,

 

J’ai reçu avant-hier ta lettre du 9 janvier, ceci pour te dire que les lettres recommandées ne voyagent pas plus vite que les autres.  Donc réalisons une petite économie !

 

Je viens d’écrire au banquier de Mr. G. qui trouvera peut-être moyen de te faire parvenir ces f100 que j’ai là depuis un certain temps et qui te seraient bien utiles.  Ne te fais aucun scrupule, nous pouvons pourtant Eug. et moi, faire ce minimum.  Pourvu seulement qu’on puisse te l’envoyer.  J’aimerais tant à te sentir bien nourrie, avec la somme de travail que tu dois faire, ce serait bien nécessaire.

 

Je me demande quand on sera ravitaillé à un prix abordable.  Certainement, il y a des manœuvres mercantiles sous ces hausses qui persistent.  On vient de hausser les allumettes sous prétexte de pénurie de matières premières !!  On nous prend pour des idiots.  Les œufs sont à 7f la douzaine, et nous n’avons toujours que de 3 à 5dc de lait par jour.

En revanche, les paysans sont à leur aise : ils ont du pain au lait et leurs bêtes boivent le lait que nous n’avons pas. 

 

Parlons d’autre chose : je crois que vous avez pris un bon parti en mettant le bébé en pension puisque vous êtes sûres qu’il sera bien soigné.  Sans doute, c’est une séparation, mais si la pauvre Jeanne est aussi faible et toi très fatiguée, cela n’aurait pas pu aller autrement.  Les promesses de Freddy m’inspirent peu de confiance, cependant si sa femme tient bon, il sera bien forcé de distraire quelque chose de ses menus plaisirs pour faire son devoir (…).  Nous verrons.  S’il souffre un peu, ce sera peut-être une leçon pour son égoïsme.

En tous cas, tôt ou tard, il sera bien forcé de voir que l’égoïsme ne mène à rien de bon.  Il devrait déjà l’avoir compris, malheureusement c’est un caractère faible qui le rend l’esclave de ses fantaisies.  C’est le fils de son père !

 

Ne te tracasses pas pour ma santé ; je me porte mieux qu’il y a une année.  Nous allons tous assez bien, sauf Henri qui a une toux opiniâtre qu’il ne veut pas soigner.  Il en serait débarrassé s’il avait pris un flacon de sirop Ramy, mais il est aussi obstiné que son rhume !

Il fait un froid excessif ces temps.  Cela nous est venu des Etats-Unis qui l’avaient en Nov. Décembre.

 

J’ai reçu une carte de Madeleine, elle était si heureuse d’avoir pu enfin recevoir de tes nouvelles directes.  D’Eugénie je n’ai rien reçu ces temps ; elle a beaucoup à faire car J. ne lui aide en rien au ménage, et elle a encore chez elle le petit Henri, le petit garçon d’Hélène, dont il faut s’occuper et qu’il faut habiller, car sa sœur est incapable de coudre quoique ce soit malgré le cours de lingerie qu’elle a pris.  C’est terrible de voir les jeunes filles modernes.  Ells « ne s’en font pas » et n’ont aucun sentiment de leurs responsabilités.

Je crois que notre petite Denise a plus de caractère que cela ; elle m’en fait l’effet.  Ici, Annie, bonne fille, est d’une étourderie et d’une négligence étonnante.  On ne sait à quoi la vouer.  Rose sera plus sérieuse et aura plus de volonté heureusement.

 

Je pense que Denise a maintenant ma lettre et que tu en auras aussi reçu tout un lot, car je t’ai écrit plusieurs fois.  Seulement, cela va si lentement que je ne me souviens plus de ce que je t’écris, et je pense que souvent je me répète.  Cela me fait toujours l’effet d’une conversation à bâtons rompus.

 

Enfin !  Cela finira par s’arranger… peut-être !

J’aimerais te voir pouponner !  Toi, grand-mère.  Cela m’étonne moins d’être arrière-grand-mère, car je me sens si vieille.

Verrais-je une fois mon arrière-petite-fille que tout le monde trouve si jolie ?  Pauvre bébé, elle est venue au monde en un triste temps.  Mais qui sait ? peut-être sera-t-elle très heureuse, car le bonheur ou le malheur n’est souvent que le jugement porté par nous sur notre propre destinée.

 

Embrasse bien Denise pour moi et le bébé aussi.  Nous t’envoyons tous nos tendresses, en attendant le revoir.  Car il faudra bien tâcher de venir te refaire un peu en Suisse, puisqu’on ne peut rien vous envoyer.  Si tu étais Viennoise, ce serait peut-être plus facile !!  Nos Mandarins accorderaient des facilités !  Ah !  « De nouveaux cieux et une nouvelle terre où la justice habite ».  Mais nous en sommes loin ! 

 

Au revoir ma chérie, bon courage et, tout de même, bon espoir !

Je t’embrasse avec toute mon affection.

 

                                                        Ta maman

                                                                 E. Versel

 

 

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2 janvier 1919 4 02 /01 /janvier /1919 01:00

Villars-sur-Ollon, 2 janvier 1919

 

Ma chère Jeanne,

 

Si je ne vous ai pas plus tôt écrit mes félicitations pour la naissance de votre chère petite Hélène, ce n’est pas indifférence de ma part, mais nous avons vécu pendant cette dernière année sous une impression de cauchemar.  Il me semblait toujours que les tristes conditions qui entouraient la naissance du cher bébé ne permettaient à personne de s’en réjouir.  Votre santé, votre vie même était en jeu et la pauvre petite, si petite et si faible, pourrait-elle vivre ?  On n’osait y penser.  Maintenant, à ce qu’il paraît, elle a, comme on dit, donné le bon tour et il faut espérer que la petite plante va maintenant croître et prospérer.

 

Vous avez encore à supporter les mois d’hiver, si pénibles en ce temps de disette, mais j’espère que à mesure que le printemps s’approchera, vous reprendrez vos forces et votre appétit.

Denise me dit que la petite est si jolie, si jolie ; elle a l’air d’en être transportée et la petite grand-mère est aussi ravie de sa petite fille.

Moi, j’aimerais bien la voir une fois, mais tout est si incertain qu’on n’ose regarder l’avenir.  Tout ce qu’on peut faire, c’est de maintenir son courage au jour le jour.

 

Enfin !  Ma chère enfant, ayez bon espoir en l’avenir et ne perdez pas courage.  Quelquefois c’est au moment où l’on ne voit rien devant soi qu’il s’ouvre une issue.

Et, puis, tout le monde a quelque fardeau à porter, même ceux qui ont l’air très heureux.  Que sait-on ?

 

Aimez bien votre bonne maman qui a beaucoup d’affection pour vous, et la petite tante Denise qui, elle aussi, est très bonne.

 

Embrassez bien la mignonne de la part de son arrière-grand-mère et recevez vous-même, ma chère Jeanne, mes meilleures amitiés.

 

 

                                                        Grand’maman

                                                                 E. Versel

 

 

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18 juillet 1918 4 18 /07 /juillet /1918 00:00

Villars, 18 juillet 1918

 

Chère Marie,

 

Je m’inquiète à votre sujet, car il paraît que la grippe infectieuse sévit par toute l’Europe.

Dans notre armée, il y a eu beaucoup de cas mortels, et la population est presque prise de panique, tant il est vrai que moins vaut la vie, plus on s’y attache.  Les gens des hôtels ici ne sortent que pour aller seuls dans les bois, crainte de la contagion, on ne voit personne.  Tu penses si cela fait aller le commerce.  Ici, on assure qu’à Lausanne tout le monde est frappé, et à Lausanne on affirme qu’à Villars on meurt comme des mouches.

Henri et Mathilde ont eu une légère crise d’influenza, mais c’était très bénin.  Je me hâte de te le dire pour te rassurer, mais j’aimerais savoir quel est votre état de santé.  Ecris-moi au plus tôt.

 

Eug. a eu une déception : le fiancé de Jeanne a dû retourner dans sa patrie.  Elle devra, pour un délai indéterminé, garder avec elle sa colossale et paresseuse fille.  Hélas !

 

J’ai reçu hier des nouvelles du Transvaal.  Mon frère s’affaiblit, mais il est très bien entouré par ses 7 petits-enfants qui adorent leur grandpa !  Une collection de photos me fait connaître tout ce petit monde, le bungalow, les cultures, les machines et les bestiaux à poil et à plume.  C’est la vie patriarcale qu’ils mènent dans leur solitude cafre.  J’avoue que j’aurais peine à me contenter de cette existence, quoique la nôtre ne soit pas exempte de soucis et de monotonie.

 

Madeleine m’a écrit une longue lettre.  Elle a été bien heureuse de recevoir ta photo, mais cela l’a attristée parce que, dit-elle, on voit que sa chère maman a souffert.  Elle est à la campagne où ils ont de tout en abondance, mais je crois qu’on la fait travailler dûrement, sans jamais lui donner d’argent.  Pourtant les V. jouissent du loyer de la maison de la ville et n’en tiennent aucun compte à ses enfants, malgré leur majorité.  Quel sordide égoïsme !

 

Madeleine a des névralgies mais, dit-elle, « je ne veux pas me plaindre car mon adorée maman souffre plus que moi ».  Tu es restée son idéal, elle ne vit que de l’espoir de te retrouver.  Elle se plaint de n’avoir jamais un mot de Freddy.

 

T’ai-je dit que Mme Quillet avait rencontré à Vevey ton ex mari.  Il aura eu la frousse !

 

Tu dois avoir reçu maintenant les 30f que je t’ai envoyés le 1 juillet.  Ma pauvre petite, c’est bien peu !  Que ne puis-je décupler la somme, ce serait tout juste pour t’aider.  Ici, la vie est chaque mois plus difficile.  Avoir du lait est un problème ardu.  Nous en avons assez, car, ensuite d’arrangements, un chalet nous le fournit mais il faut envoyer un interne tous les matins le chercher à 4 kil. d’ici, et comme la vente est nulle, c’est un travail pour le remettre à des gens qui en ont besoin mais n’aiment pas le payer.  Le lard est à f12 le kilo, et tout suit la même proportion.  Enfin ! puisqu’on en a eu du courage jusqu’à présent, il faut continuer, malgré les égoïsmes et les ingratitudes qu’on rencontre en route.

Si au moins j’étais rassurée sur votre sort, ce serait un réconfort.

 

Mr Gl. vient-il en Suisse cette année ?  Victorine et Ghislaine ont bon courage, aies-en aussi.

 

Embrasse les enfants pour moi.  Que fait Denisette ? 

 

Nous vous envoyons toutes nos tendresses et je répète : Courage !

 

                                                        Maman

 

 

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